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Chair. Hébreu : BaSaR (s doux) ; grec: σαρξ (sarx) ; Latin: caro
Le mot "chair" revient souvent dans la sainte Ecriture et il est resté une énigme
inquiétante pour la théologie et surtout pour la spiritualité chrétienne. C'est
précisément à cause de cette ambiguïté que le manichéisme eut tant de succès pour
dévier la foi chrétienne dans les premiers temps de l'Eglise, aussitôt après la période
apostolique, et ensuite dans la théologie scolastique du moyen âge. Nous ne
sommes pas encore sortis de ces difficultés.
Comment se fait-il, en effet, que nous ayons des textes "contradictoires," même
dans l'Evangile et surtout dans les épîtres ? Par exemple: dès le Prologue de saint
Jean, nous lisons : "Il n'est pas né de la chair et du sang..." et quelques versets plus
loin: "Le Verbe s'est fait chair" ? Au chapitre 3 Jésus apprend à Nicodème que "nul
ne peut entrer au royaume de Dieu s'il n'est engendré d'En Haut"..."de l'Esprit"....
"car ce qui engendré de la chair est chair". Est-ce une condamnation de "la chair",
de la structure biologique corporelle de l'homme ?... Or, plus loin, au chapitre 6, le
Seigneur propose sa chair en "nourriture véritable", "Celui qui mange ma chair et
boit mon sang ne mourra jamais". C'est sur ces paroles étranges que se produisit le
grand scandale des foules de Galilée, et même de la plupart des disciples "qui tous
l'abandonnèrent". (Jn. ch.6, fin)
Ce furent surtout les argumentations incisives de Paul, dans ses épîtres aux
Galates et aux Romains, qui se heurtèrent à une incompréhension séculaire, qui dure
encore aujourd'hui. "Si vous vivez selon la chair, vous êtes sur le point de mourir et
le Christ ne vous sert de rien...." Et surtout la conclusion de son Epître aux Galates:
"Frères, prenez garde : on ne se moque pas de Dieu ! Celui qui sème dans sa chair
récoltera de la chair la corruption, celui qui sème dans l'esprit récoltera de l'esprit
la vie impérissable". Condamnation de la nature corporelle de la créature humaine ?
Et ce mot "esprit" que signifie-t-il ? Que signifie "semer dans l'esprit"? Faut-il
mettre un E majuscule à Esprit pour comprendre qu'il s'agit du Saint Esprit... ?
De même, ce texte très éclairant, dans l'Epître aux Philippiens: "... Et pourtant
j'aurais lieu, moi aussi d'avoir confiance dans la chair ! J'ai beaucoup plus de
raisons que n'importe qui de me recommander de la chair ! Circoncis le huitième
jour, de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, hébreu issu d'hébreux, pharisien
pour l'observance de la loi, pour le zèle : persécuteur de l'Eglise, pour la justice qui
procède de la loi, irréprochable. Tous ces avantages, je les considère maintenant
comme un inconvénient, à cause du Christ !... " (3/4 s.) Pourquoi donc ? Parce que
l'évidence qui lui fut donnée en voyant le Christ dans sa gloire, lui fait comprendre
que Jésus n'était pas blasphémateur en se proclamant fils de Dieu : il ne fut pas
engendré de semence d'homme, mais de l'Esprit de Dieu....
Il est donc indispensable de résoudre le problème qu'a toujours posé ce mot
"chair" pour écarter toute ambiguïté et comprendre enfin l'importance capitale des2
paradoxes de l'Evangile et des exhortations poignantes et mystérieuses de Saint
Paul.
Le mot hébreu.
Le mot hébreu : BaSaR désigne soit la chair soit le corps selon le contexte. La
distinction entre les mots "chair" et "corps" arrive seulement dans le grec, puis le
latin. On a en effet en grec "σαρξ" et "σωμα" (soma) qu'il convient en effet de
rendre par "chair" et "corps", "caro" et "corpus".
A vrai dire c'est en raison du malaise psychologique de l'homme déchu que la
chair ou le corps - quel que soit le mot que l'on emploie - fait "problème". Depuis la
faute originelle l'homme ne sait plus quel est le bon usage de son sexe. Il a mangé
"l'arbre de la connaissance du bien et du mal," et il ne peut revenir à l'arbre de la vie
que par un discernement très exact de la volonté de son Créateur, et par une guérison
sacramentelle de sa mentalité, de sa psychologie. C'est alors seulement que tous les
problèmes sont résolus. "Rendez l'arbre bon et son fruit sera bon". (Mt. 13/33-37)
En effet, dans son sens premier, comme verbe, le mot hébreu "corps", (ou
"chair") signifie : "annoncer une bonne nouvelle". D'où le mot Evangile =
BaSoRaH, (du verbe BaSaR) : la "bonne nouvelle". Ευ−αγγελια (eu-angélia) en
grec = la bonne nouvelle. "Evangile" et "Evangelium" en latin, dérivent du grec.
Voici quelques références remarquables dans l'Ancien Testament:
Dans les livres historiques, (1 Sam 31/9; 2 Sem 18/19...) et quelques autres, il
s'agit de l'annonce d'une victoire, ou d'une action qui paraît favorable, comme en Jér.
20/15, l'annonce de sa naissance à son père - Jérémie, ensuite, maudira le jour de sa
naissance, comme aussi Job. C'est surtout dans les Prophètes que la "bonne nouvelle"
qu'ils annoncent a un intérêt universel, en vue de la Rédemption et du Royaume de
Dieu: Is.40/9, 47/37, 52/7,60/6... (lire les contextes) La citation de Luc 3/6, se
rapporte à Is. 40/3 s. Le texte le plus remarquable est celui du début du ch.61 d'Isaïe,
cité par Notre Seigneur dans la Synagogue de Capharnaüm, en Luc.4/18-19, que
voici:
"L'Esprit du Seigneur Yahvé est sur moi car il m'a oint (hb. messie).
"Il m'a envoyé pour annoncer la bonne nouvelle aux humiliés,
"pour guérir les coeurs brisés, annoncer aux captifs la délivrance,
"aux prisonniers la liberté.
"Pour annoncer une année de grâce de la part de Yahvé,
Isaïe poursuit:
"le jour de la revanche (rétribution) que fera notre Dieu,
"pour consoler les affligés
"et les couronner d'un diadème, au lieu de leur cendre,
"l'huile parfumée de la joie, à la place de l'habit de deuil,
"l'action de grâce au lieu du désespoir.3
"Leur nom sera "térébinthes de Justice" ,
" plantés (dans le jardin) de Yahvé pour la gloire.
"Ils relèveront les ruines antiques, ... les édifices dévastés depuis des siècles."
La" bonne nouvelle" est donc bien la restauration de la Terre pour le Royaume
du Père, avec, avant tout, la sanctification de son Nom, tout comme il fut sanctifié
dans la sainte génération du Christ. C'est pourquoi les "filles de Sion" (ou de
Jérusalem) sont particulièrement invitées à entendre cette "bonne nouvelle", Ps.9/15:
citation particulièrement intéressante par son sens prophétique en vue du Messie
souffrant: le "serviteur de Yahvé" (Is. ch.53)
"Pitié pour moi, Seigneur, vois mon malheur:
"tu me retires des portes de la mort: que j'annonce toute ta louange
"aux portes de la fille de Sion : car j'exulte de joie en ton salut."
C'est bien en effet aux Saintes Femmes qui avaient compati à ses douleurs que
Jésus-Christ a manifesté la joie de sa Résurrection !
Voir aussi: Ps.96/2, 97 /8 (Hb) ; les vierges, en effet, sont créées pour
"engendrer d'en haut", "le peuple nouveau qui doit naître". (Ps. 22 Hb, 31-33; Ps.69
Hb. 36-37). Il est fort intéressant de suivre dans l'Ecriture les textes où figurent "les
filles" de Juda, de Sion, ou de Jérusalem. Par exemple leur détresse au moment de la
ruine de Jérusalem . (Voir lamentations de Jérémie), ainsi que l'avertissement que
leur donne le Christ lorsqu'il montait au Golgotha en portant sa croix :
"Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais plutôt sur vous et sur vos
enfants: car des jours viendront où l'on dira: "Heureuses les femmes stériles, et
les ventres qui n'ont pas porté, et les mamelles qui n'ont pas allaité ! Alors on
dira aux montagnes; "Tombez sur nous !" et aux collines : "Cachez-nous !" car
si l'on traite ainsi le bois vert, qu'en sera-t-il du bois sec ? (Luc 23/27-30.)
Pour bien comprendre ce contraste entre les plus grandes gloires et les plus
extrêmes détresses des "Filles de Jérusalem", il faut s'instruire de la distinction que
fait Saint Paul (Gal. 4/22-31) entre la Jérusalem terrestre (centre de la Loi qui régit la
chair = la génération charnelle), et la Jérusalem céleste = la génération d'En Haut,
manifestée en Jésus-Christ, mais déjà prophétisée par la naissance d'Isaac le "fils de
la promesse". Voyez ce même raisonnement théologique en Rom. 9/6-9.
Il va de soi, en effet, que la bonne nouvelle par excellence est celle que la
Bienheureuse Vierge Marie - la véritable "fille de Sion" - a entendue par l'Ange
Gabriel: la saine génération virginale du Christ point de départ de la Rédemption de
toute chair, et l'archétype de la Génération du Royaume.
Au commencement de la création, la "Bonne Nouvelle" de tout l'Univers est
en effet le corps humain , qui achève toute l'oeuvre créatrice du Dieu tout-puissant;
"Yahvé se repose de son ouvrage à la fin du sixième jour.... " (Gen, fin du ch.1 et
début du ch.2). Cette bonne nouvelle, corporelle, est en effet l'image et la
ressemblance de la Trinité, inscrite, imprimée, gravée dans cette merveille: les corps4
de l'homme et de la femme. Elle a réjoui les Anges, à l'exception de Lucifer qui en fut
jaloux, et qui, par son envie, va faire entrer la mort dans le monde. (Sag. 2/23). Le
corps est la "bonne nouvelle" parce qu'il est le sacrement naturel de l'amour et de
l'unité entre l'homme et la femme. D'où la gravité de la mort, qui est LA "mauvaise
nouvelle" : elle déchire l'Homme (l'homme de la femme), et divise l'être en "corps et
âme," ou "corps et esprit". Si la mort n'était pas entrée dans le monde jamais le
dualisme n'aurait existé, ni la honte du corps. La "bonne nouvelle" par excellence est
celle de "l'incarnation du Verbe" : Dieu a pris chair.
Le substantif hébreu " BaSaR ", que l'on traduit par "corps", manifeste, selon
les textes où il figure le double aspect de joie et de trouble. La joie qui fut celle
d'Adam en recevant la femme "engendrée de ses os et de sa chair " :
"Celle-ci est l'os de mes os , "le corps de mon corps"
"elle mérite le nom de "virgo" car elle a été tirée du "vir"
Il convient en effet de traduire ainsi ce texte, car en hébreu le mot "femme" est
le féminin d'homme (Ischah de Isch), de même qu'en latin "virgo" et "vir" (Voir les
mots "homme" et "femme")
C'est pourquoi, dès le commencement, le corps et sa sexualité ont un caractère
sacré éminemment lié à la création-fabrication (ouvrage modelé) du premier homme,
et à la génération divine directe de la femme à partir du corps de l'homme. Ainsi la
virginité est sacrée, car elle est la signature et l'indication de la Paternité de Dieu;
mais la sexualité aussi est sacrée, car elle indique l'identité de nature entre l'homme
et la femme, qui sont deux personnes distinctes, tout comme il y a identité de nature
des Personnes distinctes de la Sainte Trinité.
C'est par la fourberie du Diable que le corps humain, dans toutes ses
dispositions (virginité et sexualité), a perdu son caractère de sacrement (1 Cor. 3/16;
6/19, Rom.12/1-3). Et, de fait, cette "profanation du Temple" était déjà sanctionnée
par la Loi de Moïse qui imposait des sacrifices sanglants pour l'expiation du sang
versé, que ce soit par le viol ou par l'homicide. La valeur sacrée du "sang" est en effet
précisée nettement à Noé par ce formidable texte (Gen. 9/4-6): "Vous ne mangerez
pas de chair (corps) avec son âme (souffle) c'est-à-dire avec son sang." Ce texte
aurait dû maintenir dans la voie droite le comportement de tout être rationnel; mais il
montre aussi que "le sang appelle le sang", comme le disaient les Grecs après la
guerre du Péloponnèse, c'est-à-dire que la vengeance a toujours prévalu sur le
pardon, et que l'histoire des nations n'est qu'un déferlement de l'homicide. Telle est
bien, en effet, la terrible prophétie de la Sainte Ecriture qui annonce quelles seront
les "lois" de la vengeance homicide dans la génération issue de Caïn. (Gen.4/23-24).
Lire ce texte : prophétique de toute l’histoire humaine. Les Juifs aujourd'hui encore
mangent de la viande cachère = dont on a fait couler le sang. Ont-ils pour autant aboli
les armes de leurs armées ?...
L'histoire sanglante de toute l'humanité est la démonstration péremptoire de la
gravité du péché originel. De fait, aussitôt après la faute, Adam et Eve se sont "cachés 5
le sexe avec des feuilles de figuier", et sont allés se cacher devant la Face de Dieu.
(Gen ch.3) Tel est l'enseignement fondamental : le péché a complètement ravagé la
psychologie de l'homme, qui ne peut plus supporter loyalement son corps, sa chair,
alors qu'elle est le chef d'oeuvre de Dieu.
De fait, la Loi de Moïse authentifie en quelque sorte, cette honte congénitale,
qui demeure incoercible tant que dure le péché. C'est pourquoi le prêtre qui montait à
l'autel des holocaustes pour immoler la victime expiatoire, devait "porter des
caleçons de lin" pour que "sa nudité" ne soit pas visible quand il gravissait les
marches de l'autel. (Lev.6/3, 15/2s, 16/4 etc.) L'Eglise a renchéri: les religieux
"prennent l'habit", et les prêtres "revêtent la soutane". Pis: le prêtre "défroque" qui
revient dans le monde et à son péché ! Pas étonnant que les psychologies sont
faussées et malades.
Voyez aussi l'expression qui revient tout au long du ch.19 du Lévitique : "Tu
ne découvriras pas ta nudité" : euphémisme pudique pour dire : "Tu ne t'accoupleras
pas avec..." (voyez le contexte).
Le port universel du vêtement est donc bien la preuve que l'humanité entière
découle du péché originel, comme on le lit dans cet entretien de saint Barthélémy
avec le Diable. L'Apôtre le questionna pour l'éprouver :"Qu'y a-t-il de commun à
tout homme ? - "C'est le péché, avec lequel l'homme est conçu, naît et vit".
Barthélemy approuva la réponse. (voir "la Légende dorée" de Jacques de Voragine,
fête de St Barthélemy).
"Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l'esprit est esprit" (Jn 3/6).
Cette parole de Jésus à Nicodème nous permet de comprendre les deux sens du mot
chair. Ce qui est né de la chair = de la génération charnelle... et ce qui est né de
l'Esprit = de l'Esprit-Saint, de la génération d'En-Haut. Différence absolue entre ces
deux modes de génération. C'est ainsi qu'il faut comprendre les paroles de St Paul
lorsqu'il oppose la chair à l'Esprit: "Si vous vivez selon la chair = selon la génération
charnelle, vous êtes sur le point de mourir". Et aussi: "La chair ne sert de rien, c'est
l'Esprit qui vivifie", etc... Au contraire lorsque saint Jean écrit: "Le Verbe s'est fait
chair", il nous dit que Dieu a pris un corps (= chair en hébreu) d'homme, corps
hautement estimable et adorable, que le Christ offrira en nourriture à ses disciples.
Le dualisme philosophique a pris argument hélas, sur ces textes de l'apôtre Paul pour
mépriser la chair humaine, et par suite la soumettre à toutes sortes de tortures,
sévices, flagellations, jeûnes... Si on avait compris où se trouve le péché, jamais les
chrétiens n'auraient sombrer dans de tels désordres; mais la chair a fait peur.
Aujourd'hui encore elle fait peur. Il en sera ainsi tant que la question du péché ne sera
pas éclaircie.
Toutefois Dieu n'a pas abandonné son ouvrage "parfaitement achevé dès le
commencement" (Hb. 4/3). Il est venu en la Personne du Verbe "délier les oeuvres
du Diable"(Hb.2/14. Ia Jn 3/
et restaurer la créature humaine selon le bon vouloir
immuable du Père, en refaisant de nos corps les Temples de l'Esprit-Saint. "(Rom. 6
12/1-3: 1 Cor. 6/12-20 et surtout 18-19. Tite 3/5) ). C'est pourquoi désormais il n'y a
pas de meilleure nouvelle que l'Evangile "ευαγγελια": le péché est supprimé par la
sainte génération de Jésus-Christ, et la mort supprimée par sa résurrection. En effet
cette "bonne nouvelle" de la Résurrection fut confiée aux "filles de Jérusalem": les
Saintes Femmes, qui en ont porté cette "bonne nouvelle" aux Apôtres, qui, à leur
tour, ont vu le Seigneur Jésus dans son corps de gloire. Ils n'osaient en croire leurs
yeux, tant leur joie était grande.(Luc. 24) Evidemment le Christ était nu: ses
vêtements aux mains des soldats, son suaire laissé dans le tombeau. Toute peur,
toute honte étaient désormais écartées, et la puissance du Diable - "qui a l'empire de
la mort" (Hb. 2/14) - anéantie. Jésus, fils de vierge, fils de l'homme et fils de Dieu:
telle est bien la Bonne Nouvelle annoncée dans son corps de gloire, selon la vieille
étymologie de la langue sacrée. "Dieu nous a parlé en fils..." Voir le prologue de
l'Epître aux Hébreux.
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