- Eumolpe a écrit:
- O a écrit:
- « Désirer le désir de l’autre » est une thèse d’Hegel.
"Désirer le désir de l'autre" ou bien "désirer être le désir de l'autre" (Soit obtenir sa reconnaissance, puisque nous sommes ce qu'il n'est pas) ?
Désirer le désir de l'autre est le point de départ de la violence (cf. Girard), et je doute que l'on puisse "aimer" la personne qui désire le même objet que nous.
« "Désirer le désir de l'autre" ou bien "désirer être le désir de l'autre" ? » :
Désirer le désir de l'autre, obtenir sa reconnaissance, comme tu l'écris, oui.
Car « nous sommes ce qu’il n’est pas », oui, et voir à la fois ce qui fait l’altérité et ce qui est même chez l’Autre, permet cette reconnaissance réciproque (berceau de l’Amour du prochain quand cette reconnaissance est sublimée d’un ingrédient « spirituel »).
C'est la thèse d'Hegel, reprise par Lacan.
Etre reconnu dans son désir, comme un être désirant, peut-être aussi "Désirer ÊTRE le désir de l'autre", bien que le désir humain soit réalisé dans l’autre, par l’autre, chez l’autre.
M. Girard décrit ainsi tout désir comme désir « d’être l’autre en possédant ce qu’il possède ».
C’est une thèse défendable,
Et je ne discuterai point ici du rapport du désir à l’Être,
A moins que tu ne puisses, cher Eumolpe, m’offrir un cadre philosophique précis
et définir ce qu’est et ce que n’est pas l’Être, pour toi,
vaste sujet tu en conviendras.
« Le désir est la métonymie du manque à ÊTRE » nous dit Lacan…….
Pour une approche psychanalytique du désir et l’explication de cette citation, voir l’étude intéressante de :
philippeblazquezpsychanalyste-desirs
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Eumolpe : « Désirer le désir de l'autre est le point de départ de la violence (cf. Girard), et je doute que l'on puisse "aimer" la personne qui désire le même objet que nous. » :
Dans « Mensonge romantique et vérité romanesque », René Girard écrit :
« L'homme désire toujours SELON le désir de l'Autre.»
Il ne dit pas que « désirer le désir de l’autre » soit le point de départ obligé de la violence, sinon tous les employés des P.M.E. qui souhaitent que leur patron reconnaisse l’utilité de leur emploi et tous les patrons qui souhaitent que leurs employés les respectent
seraient en guerre.
De même il n’y aurait que violence entre parents et enfants, entre mari et femme,
entre élèves et professeurs, entre maîtres et disciples, entre toutes les personnes qui passent assez de temps ensemble pour ressentir le besoin d’exister comme valeur aux yeux d’autrui.
Bien sûr, si l’autre ne nous reconnaît pas, ne nous écoute pas, nous rabaisse, voire nous insulte, comme cela arrive parfois, souvent,
un conflit peut germer, une violence même, c’est vrai, et « Désirer le désir de l'autre est alors le point de départ de la violence » ; il n’y a qu’à regarder ici :
« spiritpartage forumactif : desamorcer-les-conflits-de-personnes-sur-le-forum »
Penses-tu que ces conflits ci-dessus soient dus à « une violence mimétique de l’appropriation » comme nous dit M. Girard ?
Prenons une personne X, qui souhaite aller au cinéma voir le dernier Star wars VIII (à coup sûr un téméraire au vu du navet qu’a été Le Réveil de la Force, mais c’est un autre débat
)
Si une personne Y souhaite elle aussi aller voir ce film,
alors tu admettras que les personnes X et Y désire le même objet, ici voir le film.
Et si nous suivons ta thèse,
toutes les personnes qui souhaitent voir le film Star Wars ne s’aimeront pas,
pire, elles pourraient se montrer violente les unes envers les autres.
De même, toutes les personnes ayant acheté des Nike Air Max (taille 43) devraient se détester puisque
elles ont désiré le même objet.
La réaction de ces personnes qui ont « désiré le même objet », quand elles se croisent, est plus un regard de connivence que de haine, tu me l’accorderas.
Maintenant portons notre regard sur la polygamie.
Certains musulmans jouissent de plusieurs femmes.
Y-a-t-il pour autant violence dans (tous) ces foyers ? L’immense majorité des femmes de ces musulmans s’aiment d’autant plus qu’elles partagent le même objet d’amour, leur mari, au quotidien.
Le Roi Salomon disposait de 700 femmes et 300 concubines.
Les écritures auraient dû nous conter violences et assassinats entre toutes ces femmes. Ce n’est pas le cas.
Dans le film Ordinary Decent Criminal, Kevin Spacey, rusé voleur de tableau et braqueur de banque (il braque aussi le pôle emploi irlandais pour l’anecdote), vit avec deux sœurs, et chacune lui a donné des enfants. Et la vie est belle pour eux, et les sœurs ne sont pas le moins du monde jalouses. Elles s’aiment comme toutes les sœurs devraient s’aimer, et même plus.
Ainsi, aimer le même objet peut être l’occasion d’un rapprochement empathique/sympathique.
Autre exemple d’objet non partageable :
Tu es au supermarché et souhaites acheter un beau gigot d’agneau car la belle-mère vient et raffole de l’agneau (n’y voyez aucun rapport avec la symbolique du Christ en agneau immolé, s’il vous plaît). Arrivé au rayon viande, tu t’aperçois qu’il ne reste qu’un seul gigot.
Tu t’apprêtes à t’en saisir quand une magnifique blonde – probablement une autrichienne
venue au camping quatre étoiles situé à quelques centaines de mètres de là – s’empare du mets exquis promis à l’acariâtre belle-mère, puis te fait un clin d’œil.
Que fais-tu ?
Tu peux en effet entrer dans une scène de conflit violent et profiter de l’occasion pour tenter cette prise d’aïkido mortelle apprise hier soir au dojo d’O’sensei.
OU tu peux aussi sourire, profiter du rapprochement, engager la conversation afin de l’inviter à prendre un verre…histoire de concrétiser le fantasme de ta femme – MARI -, ce fantasme qu’elle t’a glissé dans l’oreille au lit hier soir après l’entrainement : « Chéri, et si on se faisait un plan à trois ? Je ne veux pas mourir ignorante ». Qui peut exclure qu'après moult va-et-vient (nous pensons ici à un va-et-vient entre le domicile et le dit camping, bien sûr) ne croîtra pas un « amour du prochain » immodéré pour cette belle autrichienne, naît « du désir du même objet », ici un bon gigot d’agneau d’1,5 kg, gigot que tu aurais complaisamment laissé filer vers les pâturages du camping et le barbecue improvisé entre quatre pierres par ses amis venus des Préalpes et contreforts des Carpates ? Personne.
René Girard nous parle d’une structure qu’il nomme le désir triangulaire.
« A l’origine de tous nos conflits, de toutes nos crises, explique René Girard, il y a le « désir triangulaire ». Ce désir (appelé aussi « désir métaphysique ») est désir « selon l’autre », c'est-à-dire désir d’être l’autre en possédant ce qu’il possède. Non que cet objet qu’il possède soit précieux en soi, ou particulièrement intéressant ; mais le fait même qu’il soit possédé (ou qu’il puisse l’être) par l’autre auquel je cherche à m’identifier le rend désirable, irrésistible. Dans tout désir, il y a donc un sujet, un objet et un médiateur (celui qui indique au sujet ce qu’il doit désirer). Tout désir, de ce point de vue, est triangulaire. Cette structure a une certaine stabilité quand la « distance spirituelle » entre le médiateur et le sujet n’est pas franchie ; elle perd sa stabilité, quand le médiateur et son objet se rapprochent du sujet. Nous passons alors de la médiation externe à la médiation interne.
Cette théorie du désir postule, en effet, que tout désir est une imitation (mimésis) du désir de l’autre ». Tiré du site internet français de « rene-girard - le-desir-triangulaire-ancien »
« Pour Girard le désir, à la différence des appétits et des besoins dont l'instinct détermine les objets, n'a pas d'objet prédéterminé. Cette liberté fait son humanité. Les désirs humains peuvent varier à l'infini parce qu'ils s'enracinent non dans leurs objets ou en nous-mêmes mais dans un tiers, le modèle ou le médiateur dont nous imitons le désir. Bien entendu ce modèle (s’il ne s’agit pas d’un livre, d'une pub, d’un film etc., mais d’une personne humaine) imite aussi ».
En résumé, pour R. Girard, le désir est plus que la simple ligne droite traditionnelle
qui relie un sujet (qui désire) – le Moi – et un objet (désiré) – quelque chose.
Il y a une dimension de plus qui provoque un saut de complexité :
la présence du tiers, du modèle que nous imitons. Ainsi un désir de structure triangulaire.
Et ce modèle imite lui-même d’autres modèles, etc.
Mais la thèse de M. Girard elle-même ne nous dit pas que la structure du désir – désir mimétique - mène toujours à un conflit.
Un conflit naît, PARFOIS, et il faut certains paramètres selon lui :
-que l’imitateur et le modèle imité désirent le même objet.
-qu’ils soient très attaché à cet objet.
-que cet objet ne soit pas partageable (une personne, une place dans une carrière professionnelle…)
-et qu’il y ait une « distance culturelle, géographique ou spirituelle négligeable » entre eux.
« Que se passe-t-il donc si la distance culturelle, géographique ou spirituelle entre l'imitateur et le modèle devient négligeable? Réponse: ils risquent de désirer les mêmes objets.
Les objets susceptibles d'être désirés 'ensembles' sont de deux sortes. Il y a d'abord ceux qui se laissent partager. Imiter le désir qu'inspirent ces objets suscite de la sympathie entre ceux qui partagent le même désir. Il y a aussi les objets qui ne se laissent pas partager, objets auxquels on est trop attaché pour les abandonner à un imitateur (carrière, amour...). La convergence de deux désirs sur un objet non partageable fait que le modèle et son imitateur ne peuvent plus partager le même désir sans devenir l'un pour l'autre un obstacle dont l'interférence, loin de mettre fin à l'imitation, la redouble et la rend réciproque. C'est ce que Girard appelle la rivalité mimétique, étrange processus de 'feedback positif' qui sécrète en grandes quantités la jalousie, l'envie et la haine. »
«L'homme désire toujours SELON le désir de l'Autre.» (R. Girard) :
c’est à dire l’homme désire toujours imiter ce qu’aime quelqu’un, et ce quelqu’un devient modèle, médiateur externe si le sujet du désir est « loin », médiateur interne s’il se « rapproche » :
« Dans Mensonge romantique et vérité romanesque (1961), René Girard fait une distinction entre la « médiation externe », lorsque le héros désirant, comme Don Quichotte, imite un modèle qui est « loin » de lui par le rang, l’époque ou le statut (c’est la cas d’Amadis de Gaule, personnage de fiction) et donc non susceptible de devenir son rival ; et la « médiation interne », lorsque le modèle est proche de celui qui l’imite, et devient pour lui un obstacle autant qu’un modèle, un obstacle détesté autant qu’un modèle servilement imité et adoré. Ce « modèle-obstacle » est un autre jalousé, dont la valeur est fantasmée (ou imaginée), au même titre que la valeur de l’objet qui l’accompagne (comme une « relique », écrit René Girard). »
Sa thèse est très critiquable.
« L'homme désire PARFOIS-SOUVENT le désir de l'Autre » paraît souhaitable.
Si on écoutait M. Girard, pour qu’un couple se forme il faudrait TOUJOURS un triangle amoureux :
Selon lui, Je choisis d’aimer une femme en particulier car j’ai vu quelqu’un la désirer, la regarder.
Et je devrais me dire : « Tiens, y’a mon pote Joseph qui trouve Marie jolie,
c’est le moment pour moi de la désirer et de me marier avec elle, puisque Joseph la désire ».
Absurde.
Aussi absurde est cet autre exemple :
Un homme et une femme se retrouvent seuls sur une île déserte après le naufrage de leur bateau, le Titanic.
L’homme, mignon, plaît à cette femme,
et la femme, autrichienne (c’est celle du supermarché qui aime l’agneau
et qui aurait dû rester dans son camping),
plaît à cet homme.
Crois-tu que ces deux tourtereaux vont attendre l’arrivée d’une tierce personne
pour qu’un « désir mimétique triangulaire » apparaisse et qu’ils s’aiment enfin ?
Reprenons l’exemple du Gigot d’agneau de 1,5 kg.
Où est le « modèle », la personne que j’imite, ce fameux « Médiateur externe ou interne » et qui fait que je « désire » acheter 1,5 kg de cette viande ? A qui, à quoi désire ressembler la personne qui achète un gigot d’agneau ?
Où est cette sacro-sainte structure triangulaire ici ?
Je désire acheter 1,5 kg parce que ma belle-mère aime ça, et je veux lui faire plaisir, point.
Nous sommes dans un forum qui a pour nom « Spirit.partage » ;
Nous sommes des femmes et des hommes guidés vers/par les choses de l’esprit, de l’âme,
et ce que nous désirons est TOUJOURS PARTAGEABLE car nous désirons ici des représentations, des idées, des percepts et des concepts, des pensées :
l’amour, la connaissance de soi, du Soi, de Dieu, des dieux, la Lumière, la joie…etc.
Nous désirons ces mêmes choses,
A travers elles apprenons à aimer,
Flux et reflux, de l’intérieur vers la périphérie, et du centre de l’Autre vers notre propre centre-Drashtar,
Et quand elles sont partagées,
fructifient, nous grandissent, provoquent en nous un saut vers le Transcendant, dévoilement de l’être et du non-être.
C’est le grain de moutarde dans la parabole sur le Royaume de Jésus :
Matthieu 13 : 31-32 :
« Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé qu'un homme a pris et semé dans son champ. C'est la plus petite de toutes les semences ; mais, quand il a poussé, il est plus grand que les légumes et devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses branches. »
Autre exemple :
Les chrétiens « désirent » « aimer leur prochain comme eux-mêmes » ;
« l’amour du prochain » est ici un objet recherché par tous ces chrétiens,
et le modèle à imiter est Jésus, et Jésus forme ainsi « le modèle-médiateur » de ce désir,
respectant ainsi la structure triangulaire du désir exposé par M. Girard.
Ce désir commun ne rapproche-il point tous ces croyants ?
Où est la violence chez ses gens qui partagent le même désir ? (dans le religieux, la violence se porte plutôt vers d’autres qui n’imitent pas « notre » modèle ; ex : guerres entre chrétiens et musulmans)
Le médiateur externe peut-il devenir interne, c’est-à-dire
Jésus peut-il «se rapprocher géographiquement» de ces chrétiens imitateurs et ainsi engendrer haine et « violence » dans ce groupe ?
Les choses de l’Esprit, des idées et des représentations,
A mon humble avis,
Ne sont pas concernés par la « violence mimétique de l’appropriation » girardienne,
Car ces choses se rapportent à des objets partageables,
Et il est difficile (voire impossible) qu’une « distance culturelle, géographique ou spirituelle » devienne « négligeable » entre l’imitateur et le modèle.
De plus, si l’on pose notre regard sur les grands Sages de notre histoire humaine,
On s’apercevra que « l ‘attachement » germe de conflit n’existe pas dans leur mental.
Un conte soufi relate cette historiette :
Une nuit un voleur entra dans la maison d’un prophète.
Le voleur chercha à la lueur de la lune quelque chose à dérober
Mais ne trouva rien, la seule possession de ce prophète étant une cruche d’eau.
Le voleur, dépité, s’apprêtait à partir
Quand le prophète l’interpella et lui dit :
-Hey ! Toi, que fais-tu là ?
-Rien, rien, Mon seigneur…je partais…balbutia le brigand.
-Ah ! Mais tu es voleur, susurra l’Homme de Dieu. « Et tu allais partir les mains vides.
Prends donc cette cruche d’eau et va-t’en faire tes ablutions ». Ce que fit le voleur,
Qui pria jusqu’au lever du jour dans la maison de l’hôte.
Le Maître, à l’aube, vit le pécheur en larmes, qui,
Grâce à la seule présence du prophète,
Avait eu une vision du Divin, au travers de ses prières.
Namaskaram