Krishnamurti: L'Observation sans image

«La question de savoir s'il existe une observation sans distorsion, sans intervention du langage ou de la mémoire sous forme de «moi», soulève énormément d'interrogations, car cela suppose que toute interférence de la pensée dans l’observation soit impérativement exclue.

Il faut donc observer sans qu’interfère la moindre image dans notre relation à l’autre, il faut observer l’autre en faisant abstraction de toutes les images que nous nous sommes forgées à son propos. J’ignore si vous avez déjà essayé.

L’image, c’est «vous». Ce «vous» qui a accumulé diverses impressions, diverses réactions au sujet de l’autre ; voilà de quoi est faite l’image que vous avez de lui, et qui vous sépare de lui. Cette division est source de conflit. Mais lorsque toute image est absente, vous pouvez observer l’autre avec une qualité d’attention totale, imprégnée d’amour, de compassion, et donc exempte de tout conflit. Voilà en quoi consiste l’observation sans observateur.

C’est de la même façon qu’il faut observer une fleur par exemple, et tout ce qui nous entoure, sans nous en dissocier, car cette division sous-entend le conflit, et tant que la pensée aura cette importance, cette division persistera…»

(Krishnamurti, «Cette lumière en nous»)

La pure perception de ce qui est passe par le détachement du " moi" qui observe un " extérieur" à moi.
L' observateur et l' observé sont alors perçus dans l' instant au sein de l' observation. La pensée, simple outil mis au service de la préservation de la forme ne peut saisir la globalité puisqu' elle n' y est pas extérieure et fonctionne donc par exclusion. Cette exclusion s' exprime intérieurement par le surmoi qui divise le " moi justifié" ( accepté) et " moi refoulé" ( déni).De même, cette exclusion s' exprime dans le monde par la normalisation ( loi) et la répression ( pénalisation)...

"C’est de la même façon qu’il faut observer une fleur par exemple, et tout ce qui nous entoure, sans nous en dissocier, car cette division sous-entend le conflit, et tant que la pensée aura cette importance, cette division persistera…"

Je pose un regard différent. Etant donné que le vide enfante la forme. Sans division, la vie ne serait pas possible. La division n'engendre pas forcément le conflit, mais la différence, une altération bienvenue.

La question du comment ne peut qu' être posée par le moi ; c' est donc une stratégie de survie du moi qui peut être pertinente pour tout un tas de choses pratiques mais pas pour la compréhension de la globalité.
Il m' apparaît que la question du " quoi" ( pas du" quoi faire" ) qui pointe vers l' état des lieux au dedans et au dehors, sans choix ni conclusion, est la question de base qui invite à l' attention au sein de la présence. Cette attention mène à comprendre la pulsion du moi à croire qu' un mouvement de la pensée , une forme, peut conduire à la libération. La perception du "moi objectivé " comme étant la prison elle-même est la liberté immédiate et inconditionnelle. Il n' y a aucun moi qui puisse se libérer.
À ce propos, mon éveil, ma libération sont un non sens total, autant de tentatives du moi de faire ce pour quoi il est programmé: essayer de sauver sa peau. Le moi se dit:" si j' atteinds l' immortalité, l' omniscience, l' éveil, la libération...je n' aurai plus à me battre , tout sera bien. Il passe ainsi son temps et son énergie à repeindre et re décorer la prison de lui-même , gràce aux stratégies mises en oeuvre par ses comment et ses pourquoi.

Krishnamurti a écrit:

Mais lorsque toute image est absente, vous pouvez observer l’autre avec une qualité d’attention totale, imprégnée d’amour, de compassion, et donc exempte de tout conflit.

Voilà deux mots pouvant être considérés comme une distorsion...
Deux images, émotionnellement colorées; de l'observateur sur ce qui est observé.
.

coquillage a écrit:

Krishnamurti a écrit:

Mais lorsque toute image est absente, vous pouvez observer l’autre avec une qualité d’attention totale, imprégnée d’amour, de compassion, et donc exempte de tout conflit.

Voilà deux mots pouvant être considérés comme une distorsion...
Deux images, émotionnellement colorées; de l'observateur sur ce qui est observé.
.

Très juste.

Il est illusoire de s' attendre à trouver la présence dans l' expression de la présence qui n' est qu' un produit de digestion. Pensées et émotions sont des modalités d' expression, non la source. La distorsion tient non à la coloration de la pensée et/ou de l' émotion, mais à l' identification d' un moi entité à ces dernières.

quand on ne colore rien il me semble qu'on regarde l'autre juste avec de la curiosité, on cherche à le connaître? la source serait la curiosité?

Il y a cette fascination à se décliner en d' infinies formes au coeur de soi-même. Cette éclosion incessante de la diversité, dans sa différence ,ne lasse que le regard habitué, celui du moi figé qui refuse le mouvement , dans sa quète de sécurité.

en fait faut pas chercher à le connaitre, le connaître c'est déjà se faire une idée? ça fige en quelquesorte? mais comment établir un lien, un échange sans se faire d'idée? en fait on pense à la place de l'autre, souvent on va dire il dit ça parce qu'il est triste ou en colère etc...

pulsar a écrit:

Il y a cette fascination à se décliner en d' infinies formes au coeur de soi-même. Cette éclosion incessante de la diversité, dans sa différence ,ne lasse que le regard habitué, celui du moi figé qui refuse le mouvement , dans sa quète de sécurité.

Je dirais plutôt du "moi" robotique donc avec une vue de robot.

Totem a écrit:

pulsar a écrit:

Il y a cette fascination à se décliner en d' infinies formes au coeur de soi-même. Cette éclosion incessante de la diversité, dans sa différence ,ne lasse que le regard habitué, celui du moi figé qui refuse le mouvement , dans sa quète de sécurité.

Je dirais plutôt du "moi" robotique donc avec une vue de robot.

Oui, tu peux utiliser ce terme de robot, c' est la même chose, car la pensée est une réponse programmée, certes interactive, ce qui lui donne cette apparence d' existence autonome du fait du mouvement incessant ainsi créé.
En amont de cette pensée ancrée uniquement dans le stock du savoir acquis s' enrichissant et interagissant avec l' environnement dans la limite de ses capacités, est une perception, un accueil inconditionnel , exempt de toute évaluation, comparaison ou savoir acquis, qui est perméable à la pure pensée de moi même par laquelle je m' appelle à l' existence. Cette existence dont seule je peux faire l' expérience à travers des qualificatifs : j' ai un corps, un intellect, des émotions, des possessions, des facultés, des limites...Ce que je suis échappe à l' expérience qui n' est que son résidu interprété .La moindre espèce de réalité objective donnée à quelque expérience que ce soit constitue le moi. Ce moi n' est sain que s' il peut faire l' aveu de son ignorance et ainsi orienter sa demande non seulement vers le savoir acquis ( qui n' est à lui seul qu' une réponse d' hier à un défi de maintenant), mais premièrement vers ce qui ne se pourrait nommer ni représenter.
Assimiler pensée et conscience est une erreur gravissime: La pensée ne peut dépasser la conscience de soi en tant qu' individu séparé, seulement penser le pouvoir.