Ce que l'on appelle aujourd'hui théurgie dans certains milieux n'est plus qu'une pâle expression des
pouvoirs attribués à la prière et aux rites. La plupart du temps ces pratiques sont entachées de
sorcellerie déguisée. Or, seuls les inférieurs et les moins purs parmi les élèves des initiés s'arrêtent
encore à cela. Les peuples, n'ayant plus depuis longtemps de chefs formés dans les Ecoles de la "
Sagesse de vérité " (C'hâKhMâH HaAEMêTh), que ce soit en Occident ou en Orient, devinrent trop
souvent la proie des théurgistes et des sorciers.
C'est la confusion entretenue entre la Tradition originelle, la Tradition véritable, et ses imitations
frelatées, qui est sans doute la cause de la mauvaise réputation de la Kabbale dans certains milieux
religieux, tant juifs que chrétiens.
La partie métaphysique de cette Tradition consiste à exposer ce que l'Homme peut apprendre sur
cette Sagesse mystérieuse d'en haut et la façon dont elle se manifeste jusqu'à cet Homme, et audelà
de lui. Pour ce faire, elle s'appuie sur les Ecritures sacrées, témoignage des Connaissances du
Passé ; pour ce faire encore, elle les compare aux découvertes d'aujourd'hui, que ce soit dans les
domaines matériels ou spirituels, consignant le meilleur de ces dernières dans ses livres et
consciences mémorielles. Ainsi fit-elle depuis des millénaires, ainsi fera-t-elle sans doute encore
longtemps.
C'est pourquoi l'on raconte ordinairement que la Sagesse d'en haut se révéla sur le Mont Sinaï
(signe d'évolution) à Moïse qui transmit cette Connaissance à Josué. Josué la transmit aux Anciens,
et les Anciens aux Prophètes ; et ceux-ci..., etc.
Il y reçut ainsi la fine fleur de ce qui pouvait être entendu à son époque ; car il était, si l'on en croit
les sources méta scientifiques, le Chef suprême des Initiés égypto-chaldéens, surnommés
significativement Hébreux, ce qui veut dire " passeurs " ou " ceux qui vont sur l'autre rive ",
derrière les apparences ; et encore, " ceux qui traversent les abîmes "... et les font traverser. Sans
aller plus avant pour l'instant, les trésors cachés sous les apparences païennes du " Livre des morts
" d'Egypte ne pouvaient guère leur être étrangers.
Au-delà de l'historiette officielle, les kabbalistes admettent en général que la Tradition reçue sur le
Sinaï représente la somme des Connaissances transmises d'âge en âge par les Patriarches des
temps originels, depuis Adam lui-même. En fait, il semble qu'à l'époque de Moïse une partie de ce
colossal savoir avait été perdue. C'est ainsi que l'on raconte que du temps d'Enosh (AENOSh), fils
de Sèth, les petits enfants savaient ce qu'ignorent maintenant les plus grands savants. Or, en ce
temps-là déjà, on avait oublié une part de la Science adamique.
Quoi qu'il en soit, la vie et le savoir d'un Mékoubal se rattachent à ce que l'on appelle la
Shalshèlèth-ha-Kabbâlâh, littéralement " chaîne de la tradition ", c'est-à-dire la transmission de
maître à élève et, pour l'essentiel, de " bouche en bouche " (ShéBa’al PèH). La Kabbale est en effet
avant tout une communication orale. Pendant fort longtemps, hormis les Livres sacrés rédigés en
langues idéographiques chiffrées, rien ne fut écrit. Toute la science était transmise de mémoire.
Mais, le temps passant et l'époque connue sous le nom d'Age d'or s'éloignant, il devint un jour
nécessaire d'en consigner certaines parties. Les historiens, par légitime désir d'exactitude "
scientifique ", n'acceptant de prendre en compte que ce qu'ils peuvent appuyer sur des documents
écrits, on ne sera pas surpris s'ils ne donnent au mieux pas plus de dix-huit siècles à l'apparition de
la Kabbale. Plus fréquemment encore, ils ne la voient se concrétiser qu'au début du Moyen Age.
Le savant G.G. Scholem, bien qu'il soit de cette école, n'en reconnaît pas moins "[... ] que dans la
période du second Temple, on enseignait déjà dans les cercles pharisaïques une doctrine ésotérique
".
L'histoire officielle de la Kabbale se réduit donc à quelques siècles, alors que ses adeptes l'assurent
venue d'au-delà de la nuit, née de l'ère de lumière qui précéda la chute de l'Homme. Si l'on s'en
tient ainsi aux seuls documents reconnus, l'enseignement appelé kabbaliste par les historiens
commence avec Yohanan ben Zakkaï, juste après la destruction du Temple de Jérusalem par Titus,
en l'an 70.
Cependant, nous devons faire remarquer qu'à cette époque dramatique la très grande majorité des
Juifs de Judée et de Galilée, Anciens et savants, femmes et enfants, zélotes armés et gens pacifiques
avaient été passés au fil de l'épée. " Tout le pays d'Israël était en proie à la dévastation et au
bouleversement ; les morts ne se comptaient plus ; les documents d'archives furent perdus ; sous
l'effet de la détresse, de la malnutrition, du choc affectif la mémoire s'altérait. ". Rien que pour la
ville de Jérusalem il y avait eu plus d'un million de victimes. Le heurt politique entre Romains et
Juifs avait désorganisé tout l'enseignement et l'administration du pays. En promettant à Rome de
ne pas faire de politique Yohanan ben Zakkaï put fonder l'école de Yavné avec l'aide d'Eliézer ben
Hyrkanus, d'Akiba ben Yosèph et d'Ismaël, le nouveau Grand Prêtre.
Sous leur contrôle, et avec leur aval, du moins on le suppose, une littérature abondante apparaît
alors pour consigner d'urgence tout ce dont on se souvenait encore. Un véritable travail d'enquêtes
fut effectué. Dans les mémoires des vivants, dans les communautés et bibliothèques des pays
voisins, Des discussions philosophiques furent ouvertes à propos des textes bibliques et les
interprétations allèrent bon train... La Tradition juive en ressortit ranimée, régénérée, mais aussi
sensiblement transformée par les thèses des groupes pharisaïques dominant les nouvelles écoles.
N'ayant pas l'intention de dresser un tableau historique circonstancié, ce qui demanderait
beaucoup de place et nous préférons la réserver à la doctrine, voici simplement quelques grandes
lignes très brèves au travers des grands ouvrages :
Le Talmud de Jérusalem, fin du 2ème Siècle.
Le Talmud de Babylone, et nombreux commentaires homélitiques de la Bible, entre les
3ème et 5ème siècles.
Les Hêkhaloth (Palais), 5ème siècle.
Le Sèphèr Yètsirah (Livre de la Formation), 5ème / 6ème siècles.
Le Sèphèr ha-Bahir (Livre de la Clarté), 12ème siècle, publié en Provence au moment de la
grande extension des écoles kabbalistes du Sud de la France.
Le Sèphèr ha-Zohar (Livre de la Splendeur), remise en forme contemporaine par Moïse de
Léon d'un manuscrit secret du 2ème siècle, attribué à Siméon Bar Yoc'haï, le prestigieux
élève de l'école de Yavné.
On est alors à la charnière des 12ème/13ème. Le grand élan philosophique lancé par les Français de
Septimanie va s'étendre sur toute l'Espagne, puis sur l'Italie et l'Europe centrale. C'est le temps de
Nac'hmanide et d'Aboulafia, jusqu'au grand exode d'Espagne.
Au 15ème siècle, paraissent les ouvrages du subtil philosophe Moïse ben Ya'aqov Cordovero, exilé
en Haute Galilée, à Safed, ceux d'Isaac Louria, sous le pseudonyme d'Ari (Ashkénazi Rabbi Isaac),
et ceux de son disciple C'haïm Vital.
De ces trois courants dynamiques de pensée métascientifique et religieuse à la fois - celui de
Provence, celui d'Espagne et celui de Galilée - naîtra presque en même temps que le deuxième
l'école de Rhénanie, qui s'étendit lentement vers l'Est. De là surgit au 18ème siècle. le dynamique
mouvement du C'hassidisme, lancé par R. Israël ben Eliézèr, dit le " Becht " (ou Besht : Ba'al Shem
Tov).
La Kabbale va trouver par ce mouvement une puissante expansion. Cependant, comme le rappelle
G. Casaril, " la Cabbale de l'âge d'or s'adresse à l'élite intellectuelle ; elle vit l'adhésion mystique, le
Connaître-Dieu, comme un achèvement de l'étude. Le Lourianisme remplace déjà les valeurs de
l'étude par les pratiques rituelles, par une compréhension cabalistique des actes religieux ". Le
C'hassidisme se voulant tout entier populaire, " les Maîtres hassidiques, dit-il encore, n'apportent
rien à la Tradition, ils l'adaptent à la compréhension - souvent étroite - des petites gens de Podolie
Volhynie ".
De nouveau, les branches de la très haute mystique psycho-intellectuelle se cachent sous le sceau
du secret. Elles semblent abandonner les écoles populaires à tous les élans du coeur, et, parfois
même aux pires excès de la vénération idolâtre des guides Tsaddiks. Il en naîtra deux déviations :
celle de Sabbataï Svi au 17ème s. et celle de Jacob Frank au 18ème. La majorité des adhérents du
premier se convertirent à l'Islam et ceux du second au Catholicisme.
Enfin, la tentative de Spinoza de traiter à la façon du Cartésianisme les notions métaphysiques de
la Kabbale n'arrangea pas les choses.
Depuis longtemps la " Chaîne de la Kabbale " se renouvelait sous le couvert : les grands
mouvements bruyants n'étant que le ressac d'une oeuvre lente et patiente, celle de l'évolution
humaine. Le désordre actuel du monde étant ce que l'on sait tous les fanatismes trouvent matière
accrue dans cette violence et dans l'ignorance entretenue. A.D. Grad voit clair : " Après Safed, la
chaîne initiatique se ramifie jusqu'à nos jours en de petits cercles d'études qui s'efforcent de
préserver avant tout, selon leurs moyens, l'esprit même de la Kabbale ".
http://chevouel.ifrance.com/Files/consideration.pdf