Le pain
Il était un jour un voleur au cœur de loup, brutal, rusé, intelligent qui était sans cesse attiré plus loin que le prochain magot, le prochain marchand détroussé ou la prochaine caravane prise à ses pièges carnassiers. Il cherchait autre chose. Quoi ? Il ne savait dire. Il en souffrait. Il ignorait d’où venait sa mélancolie, et donc il vivait avec elle comme avec ces amours pesants qui parfois embarrassent l’âme.
Un soir, il pénétra dans une maison visiblement inhabitée. Au milieu de la table, rien, sauf un pain à la croûte ronde.
Ce pain soudain lui dit :
- Mon frère, que recherches-tu exactement ?
Le voleur bondit en arrière, tourna partout ses yeux inquiets.
- Qui a parlé ? dit-il.
- C’est moi ! rétorqua le pain. Je vois clair dans ton âme triste. Tu voudrais découvrir enfin quelque chose que rien n’abîme, savoir ce que sait, aimer comme je sais aimer.
- Aimes-tu ceux qui te dévorent ? fit-il moqueur.
- Qui n’aime pas ne peut nourrir. Veux-tu mon pouvoir ? demanda le pain.
- Certes oui.
- Sache que tu devras passer par le chemin qui fut le mien.
- Je t’écoute, dit le voleur.
Je fus d’abord enfoui dans la terre des morts. J’ai pourri. J’ai dormi longtemps. Quelque chose en moi a germé. Je me suis senti renaissant. Alors m’est venu un désir, un élan, un rêve de ciel, une famine de lumière. Mais la nuit était si lourde ! Quelle folie ! Comment un être aussi chétif pourrait-il trouer ces ténèbres ? Cent fois j’ai voulu renoncer. Cent fois la rage m’a repris. Comment ai-je fait ? Je ne sais. Un matin, un brin d’herbe est né. C’était moi, convaincu d’être parvenu au paradis des grains de blé. Quelle merveille ! J’ai pensé : « Dieu me tend la main, Il m’a vu, Il m’accueille enfin ! » Je me suis encore élevé, je me suis offert aux averses, au soleil, aux souffles du vent. Vinrent les premiers jours d’été, l’armée des moissonneurs, l’inutilité des prières et l’apocalypse des faux. Je fus lié, battu, broyé, réduit en poudre sous la meule, noyé, pétri, jeté au four, enfin tiré par mon bourreau hors des braises de cet enfer. C’est ainsi que je me suis fait nourrissant. J’ai ce pouvoir incomparable de donner ma force aux vivants.
- Le veux-tu ?
- Non, garde-le ! Je préfère cent fois rester avec mes questions sans réponse et mes effrois d’enfant perdu. Aimer est trop rude. Salut !
Sagesse soufie